Edmond Cohen (1936-2022)

 

Témoignage de Mathilde Elias-Pessah

Edmond, tu nous laisses une chaise vide…

Tu as tant donné pour notre culture et notre langue depuis l’époque où tu t’asseyais discret au fond de la salle sans dire un mot, écoutant Haïm (dbm) aux ateliers du soir…. jusqu’à il y a peu de temps où c’est toi qui prenais place armé de tes dictionnaires et du dernier numéro d’ El Amaneser, souvent enrhumé – esta abashada quasi chronique qui ne te lâchait pas – pour à ton tour animer nos réunions à Vidas Largas où chacun pouvait s’exprimer kon su chichit (à sa manière)…et à la radio.

Tu évoquais souvent avec tendresse ta famille, ta grand-mère mal entendante qui lisait sur les lèvres et s’intéressait à la météo dans le journal, ton père et ton oncle se chamaillant en judéo-espagnol pour une divergence sur une affaire, tes taquineries avec ta chère Annie et vos épiques lectures/traductions communes en Yddish, ton bonheur les mercredis avec tes petits-enfants et très récemment combien tu avais été frustré de ne pas pouvoir assister à la Bar Mitsva de ton cher Lior. 

Tu racontais tu shikez (ton enfance), les jeudis de ton enfance avec la petite Maryse… les années de guerre séparé de ta maman, Marcel le petit berger d’Hérépian … et tes Justes, les dames Carayol et Gasset, tous resteront éternellement vivants grâce à ton livre « Berger parmi les Justes » et au film qui a suivi. As-tu  pu en terminer la traduction ? 

Tu nous parlais quelquefois de tu manseves (ta jeunesse), tes études à Condorcet, ton expérience du kibboutz en Israël… ta vie d’adulte aux côtés de ton épouse aimée et de tes fils. Tu nous faisais rire avec les mésaventures de ta vie d’avocat,

 Légers ou sérieux tu abordais avec le même talent et le même enthousiasme des sujets très divers agrémentés d’anecdotes et d’humour. Bien sûr tu avais tes favoris, Chauvau Lagarde ou Victor Hugo dont tu avais traduit quelques poèmes dans notre belle langue… avec des rimes ! 

Tu allais où ta curiosité te menait et ainsi pendant des années, tu as partagé ton travail aux ateliers et à la radio où tu avais pris la suite de notre regretté Haïm : de grandes figures de l’histoire d’Osiris à la chanteuse Rachel ou à Pierre Masse aux commentaires du Mean Loez ou aux histoires de Joha  sans oublier les chansons de Ferrat et le cinéma que tu aimais tant. Quel fourmillement ! Quel eclectisme et combien étaient savoureux tes propos comme l’était la berenjena, l’aubergine que tu mis aussi en vedette avec gourmandise. Tu possédais l’art de faire rire et de reconter dont tus oyentes (tes auditeurs) privilégiés se sont régalés des années durant,

Avec Daniel Farhi (dbm) tu étais l’un des piliers des réunions du jeudi soir que tu appréciais en compagnie de quelques amis et dont tu nous parlais. 

Tu disais rarement « à cela je ne peux pas répondre… » et ça t’entraînait parfois sur de nouveaux chemins de recherches.

Tu m’as avoué un jour que tu « adooooooorais les compliments » (sic), alors sois content des alavatyones (hommages) qui pleuvent de toutes parts, car tu as œuvré également avec ta générosité et ta compétence habituelles dans d’autres activités et, notamment, dans plusieurs associations. sépharades comme la plus ancienne l’UISF et, ces dix dernières années, la plus récente « Muestros Dezaparesidos » aux côtés d’Alain de Toledo…

  Autour de la table familiale, il y aura désormais une chaise vide et tu ne marcheras plus aux côtés de ta chère Annie, tu vas tellement manquer aux tiens… Mais il existe aussi en France et bien au-delà de nos frontières tout un réseau d’amis et de connaissances noué au sein d’ateliers, d’associations ou via la radio, les « zoom », les messageries internet… nombre de personnes avec lesquelles tu échangeais et qui se disent aujourd’hui gwerfanos, orphelins, orphelins d’un ami, d’une présence, d’une image, d’une voix, d’un homme, un gentleman… un savyo, un haham, un benadam.un mensch qu’ils ont aimé et apprécié. 

Tu laisses en chacun un vide… et le cœur gros… « Gway ! Gway ! del ke se fue ! » disait ma mère (Hélas ! Hélas ! C’est celui qui s’en va qui est à plaindre !)

 Ce 12 fevrier 2022 Nissim, Edmond Cohen, Edy nous a quittés. Ganeden bueno ke tenga.

 

Je m’associe à Muestros Dezaparesidos pour adresser à sa famille de très sincères condoléances