Neuf petites flammes vacillantes dans le vent tumultueux pour tirer de l’oubli les noms et l’histoire de neuf personnes, un couple et leurs sept enfants, une famille juive refugiée en 1939 dans une petite commune des Pays de Loire proche de Saint-Nazaire.

La stèle édifiée à la mémoire de la famille Angel

Nous sommes à Tharon Plage, petite commune dont la mairie se trouve à Saint Michel Chef-Chef, ce 29 avril 2018, Journée de la Déportation, où sera inaugurée cette année  une stèle en l’honneur de la famille Angel.
Quelle heureuse initiative que ce travail de jeunes élèves du Lycée  Professionnel de Paimboeuf, de leur professeur d’histoire Catherine  DELRUE, soutenus par la Maire, qui mois après mois reconstituent leur vie et leur mort tragique.

la professeur Catherine Delrue qui a fait travailler ses élèves sur l’histoire de la famille Angel et Irène Geoffroy Maire de Saint Michel Chef-Chef

Quelle émotion de découvrir sur des photographies ces visages, ce jeune homme Isaac, si beau, au regard clair ! D’entendre un témoin de l’époque, Rolande Lenglet Delepine, parler d’Esther son amie d’alors, adolescente de 16 ans, et ainsi nous la rendre présente.
Qu’est-ce qui permet que des jeunes aient le courage de tourner les pages de l’histoire les plus sombres de notre pays et se soucient d’inconnus disparus il y a plus 70 ans ?
Sans doute la volonté des adultes, de leurs professeurs d’éveiller les consciences et de transmettre coûte que coûte des valeurs humanistes cette volonté reprise par toute une municipalité qui prend  le risque d’une commémoration officielle avec la pose d’une stèle offrant ainsi à cette famille, ces êtres sans sépulture, une place, une belle place face à l’océan.
Des passants sur la promenade se pencheront parfois sur la stèle pour en déchiffrer l’inscription. Certains se détourneront, d’autres plus attentifs s’arrêteront le temps d’une pensée, d’un soupir, d’un regret.

Une vaste entreprise qui débute en 2011 :

Dans le cadre d’une action  «  Devoir de mémoire » initié par le Mémorial de la Shoah de Paris avec le concours de la région pays de la Loire et du rectorat de Nantes, des classes du lycée professionnel Albert Chassagne de Paimboeuf sous la conduite de leur professeur d’histoire Catherine Delrue ont effectué une recherche approfondie sur la famille Angel réfugiée à Tharon plage en octobre 1939.

Ce travail s’est traduit notamment par une visite au Mémorial de la Shoah à Paris, un voyage à Auschwitz, une recherche approfondie dans les archives qui ont abouti à l’élaboration de deux films très documentés que l’on peut consulter sur internet (lien) :
« Nous avons voulu vous faire émerger un peu du néant où les nazis vous avaient plongés. »
– Lettre à Esther : année scolaire 2011-2012

– Enfance volée : année scolaire 2014-2015

Une famille de neuf personnes sans beaucoup de ressources, les parents Salomon et Louise également prénommée  Lucie née Elnécavé et leurs sept enfants :
Isaac, Esther, Rachel, Joseph, Sarah, Jacques, et Yvonne.

En haut debout à gauche Esther Angel, photo du Mémorial de la Shoah

Tous sont arrêtés en 1942, l’aîné a 17 ans et la plus jeune 2ans, et déportés séparément à Auschwitz, le père et les deux aînés par le convoi 8 depuis Angers le 20 juillet 1942, et la mère et les cinq enfants par le convoi 34 depuis Drancy le 8 septembre 1942.

photo de mariage de Vidal et Lucie ANGEL – Mémorial de la Shoah

Un oncle et une tante Vidal et Lucie sont arrêtés au même moment à Pornic et meurent aussi en déportation.
Les films commencent par l’histoire de Salomon et Louise nés en Turquie, expliquent ce que sont  « les sépharades » depuis leur expulsion d’Espagne en 1492, racontent leurs parcours en France où ils  émigrent  en 1920.
A partir de leur histoire particulière ils traitent aussi de l’histoire plus générale, celle de la France de l’occupation, du Statut des juifs et des persécutions et déportations dont ils sont victimes. ;

Ce travail d’abord pédagogique, soutenu par la Commune et les élus, a trouvé son aboutissement le 29 avril 2018 par l’inauguration d’une stèle.
Diverses personnalités sont présentes notamment, la maire : Madame Irène Geoffroy, un représentant de la Fédération Nationale des Déportés Internés, et Résistants Patriotes (FNDIRP), le rabbin de Nantes et bien sûr Mme Catherine Delrue accompagnée d’élèves du lycée Chassagne. Plusieurs membres de la famille Angel les entourent, Marion Angel, Esther Kawibor, nièce de Louise Angel et ses deux filles venues spécialement d’Israël, Solange Wurtz une autre nièce de Louise, le Rabbin et le responsable de la communauté de Nantes.

Catherine Delrue et Gilbert Sagues représentant les associations judéo-espagnoles et qui était un enfant caché à Tharon plage durant la guerre

Grâce à Michèle et Gilbert Saguès représentant l’association «  Muestros Dezaparesidos » un film sur DVD restitue le déroulement de la cérémonie. Gilbert – membre de plusieurs associations judéo-espagnoles et très attaché à cette culture – est doublement ému car il est lui-même né à Tharon en octobre 1939 où sa famille s’était réfugié et y a vécu deux ans et demi.

Vidéo d’inauguration de la stèle filmée par Gilbert Sagues

Une cérémonie émouvante sous un ciel tourmenté devant une assemblée nombreuse et recueillie.
C’est d’abord Marion la plus jeune des membres de la famille qui prend la parole : paroles fortes sur les images qui hantent les descendants des déportés et l’impossible réparation de cet impensable réalité, elle rend hommage à tous ceux qui ont œuvré à Tharon pour honorer la mémoire de cette famille et qui ont permis que « leurs morts ne soient plus un chant funèbre mais un appel profond du combat pour la vie. »
Puis vient le tour du représentant de la Fédération Nationale des Déportés et internés et Résistants Patriotes qui souligne la nécessité de transmettre aux jeunes générations la mémoire de ce que peut-être la barbarie  «  car le travail de mémoire n’est jamais achevé. »
« L’Esplanade Famille Angel »
Jean Pierre Domergue, Anne Plaud et Catherine Delrue sont à l’origine de cette initiative.
Madame la Maire en ce jour du souvenir des victimes de la déportation, a évoqué très émue l’arrestation de toute la famille, avant de dévoiler la plaque qui donne leur nom à l’esplanade, non loin d’une aire de jeux pour enfants, face à la mer, lieu propice au recueillement.
Une gerbe a été déposée Les enfants du Conseil Municipal des Enfants ont allumé 9 bougies en mémoire des 9 victimes et l’assemblée a chanté la Marseillaise. A la fin de la cérémonie, en présence du Président du Consistoire Israélite de Nantes, le Grand Rabin de Nantes a dit le Kaddish et on a entendu l’Hatikvah.
Plus tard, dans la salle Canopus où a été réalisée une exposition de photos Madame Catherine Delrue explique sa méthode pédagogique : « …plutôt que d’apprendre de manière livresque ce qu’est la Shoah, on a pensé que suivre comme fil rouge l’histoire d’une famille de notre territoire et particulièrement l’histoire d’une fille de l’âge de mes élèves, rendrait plus concrètes les mesures antisémites prises autant par Vichy que par les nazis… jusqu’à la solution finale…». Elle passe la parole à la famille proche, les nièces de Louise Angel, Esther et Solange.
Esther malgré son âge et des problèmes de santé a tenu à faire le voyage depuis Israël. Elle est venue avec ses deux filles Vardite et Gliliah participer à l’hommage rendu aux siens. Elle les aime sans les connaître surtout ses sept cousins comme autant de frères et sœurs qu’elle aurait voulu avoir. Au total vingt membres de sa famille ont connu l’horreur des camps de la mort.
Si elle s’interroge sur l’antisémitisme qui n’a pas été déraciné, et se révèle ici ou là par des actes ignobles elle reconnait qu’il est « fermement combattu en France par le gouvernement et ses institutions et rejeté bien heureusement par la majorité de la population française ».
Elle termine son discours en souhaitant à  « la France et à Israël ses deux pays aimés de vivre en bonne entente et de bénéficier chacun d’un présent et d’un avenir serein, florissant et  prospère ».
Solange évoque la mémoire de ses parents Michel et Nelly Michon déportés alors qu’elle avait 6ans. Elle même recueillie dans l’Aveyron par une tante et un oncle a ainsi pu échapper au pire.
Elle adresse un message de fraternité «… à tous les réfugiés de la vie sur terre et sur mer et demande que l’on reste  vigilant… » et remercie « tous ceux qui honorent les victimes du racisme et qui luttent contre l’égoïsme, la passivité, le silence ».

les membres survivants de la famille Angel : à gauche premier rang Ester Kawibor ses filles Vardite et Gliliah au centre Solange Wurtz née Michon

Nous remercions tous les acteurs qui ont rendu possible la réalisation de cette stèle en l’honneur de neuf de nos dezaparesidos.
Toute notre reconnaissance et notre admiration.

 

Article écrit par Evelyne Nahmias, Mathilde Pessah, Gilbert Sagues

Les photos anciennes proviennent des archives familiales et l’histoire familiale de la famille Angel se trouve sur le site http://cetaitautemps.e-monsite.com/pages/autour-d-esther-angel/